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Bouddhisme et végetarisme

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Le Bouddha mangeait-il de la viande ?

J’ai suggéré que l’expression naturelle de la sensibilité éthique d’un bouddhiste était de devenir végétarien : que ce qui découle naturellement d’une prise de conscience accrue de la réalité de l’interconnexion est que nous ferons l’expérience de davantage de compassion. Avec une expérience plus profonde de la compassion, nous aurons la volonté d’éviter les souffrances inutiles, et cesserons de manger de la viande. Cependant, j’ai aussi fait remarquer que ce ne sont pas tous les bouddhistes qui sont végétariens, et que beaucoup revendiquent le fait que le Bouddha lui-même mangeait de la viande. Alors qu’est-ce qui est vrai ? Est-ce que le bouddhisme est vraiment partisan d’une pratique du végétarisme ?

Il y a un certain nombre de passages dans les écritures bouddhiques anciennes qui suggèrent que le Bouddha et ses disciples moines étaient des consommateurs de viande. L’un des plus souvent cité provient d’un enseignement intitulé le Sutta Jivaka :
Je dis qu’il y a trois situations où la chair peut être acceptée : lorsqu’il n’est pas vu, entendu ou suspecté (qu’un animal a été tué pour un moine) .(60)

Bien que certains aient soutenu que cela puisse être une interpolation tardive de la part de moines consommateurs de viande, il y a beaucoup de références fugitives à la consommation de viande parmi les moines et nonnes, réalisées à la connaissance du Bouddha, et qu’il ne condamne pas (61). Je soutiendrai pour ma part qu’il est certain que le Bouddha mangeait de la viande.

Que pouvons-nous déduire de cela ? Cela ne va-t-il pas à l’encontre de tout l’argument que nous avons défendu du végétarisme basé sur le premier précepte ? Le Bouddha ne tenait-il donc pas compte de son propre enseignement éthique ? Si le Bouddha mangeait de la viande, est-il acceptable pour nous de faire de même ? Toutes ces questions sont stimulantes mais il nous est impossible de commencer à les explorer sans tout d’abord prendre connaissance du contexte social dans lequel le Bouddha et ses moines et nonnes pratiquaient. C’est seulement en observant la nature du monachisme bouddhiste ancien et les habitudes alimentaires courantes de la plupart de la population que nous pourrons comprendre pourquoi le Bouddha autorisait la consommation de viande.

Premièrement, les moines et nonnes bouddhistes étaient des mendiants. Ils mendiaient leur nourriture aux maîtres de maison. Le mot bhikkhu ou moine (le féminin bhikkhuni) vient d’une racine signifiant ‘mendier’. Le code monastique ne les autorisait pas à cultiver leur propre nourriture mais à accepter seulement la nourriture que quelqu’un d’autre leur aurait donné. C’était pour d’importantes raisons que les moines et les nonnes suivaient ces règles. Ils ne pouvaient pas cultiver leur propre nourriture parce que cela aurait eu pour conséquence inévitable de causer du mal aux petites créatures qui vivent dans le sol (62). Et cela était pour un moine une grave entrave au principe de metta, ou non-violence, que de tuer consciemment toute créature vivante (63). Le code monastique leur empêchait même de faire usage d’eau contenant des créatures microscopiques (64) et de faire des briques à partir de boue de crainte qu’ils ne tuent la moindre des créatures y vivant (65). Les règles monastiques exigeaient la pratique la plus consciencieuse de la non-violence et du metta – comme nous pouvons nous y attendre, ces idées étant tellement fondamentales dans l’éthique bouddhiste. Les moines et les nonnes étaient même autorisés à délivrer les animaux des pièges des chasseurs par compassion, même si cela aurait normalement pu être considéré comme un vol (66) . Alors comment se fait-il que ces pratiquants de la non-violence mangeaient de la viande ?

Au cours des premières années de la tradition monastique bouddhiste, beaucoup – probablement la quasi-totalité – des maîtres de maison auprès desquels mendiaient les moines et les nonnes, mangeaient de la viande. Peu parmi ces maîtres de maison, et aucun d’entre eux les premiers temps, étaient bouddhistes. La plupart de la nourriture offerte n’était probablement pas végétarienne. En ce temps, la coutume parmi les moines n’était pas de rester installés quelque part mais de beaucoup voyager afin de répandre le Dharma. C’est seulement durant la saison des pluies qu’ils vivaient sous un abri et restaient au même endroit. Durant le reste de l’année, les moines et les nonnes entraient dans des villages qu’ils ne connaissaient pas et ne connaissaient pas non plus les personnes qui leur donnaient de la nourriture, ni si elles étaient végétariennes.

Les maîtres de maison pensaient qu’ils pouvaient gagner du mérite en offrant de la nourriture aux mendiants religieux, et ainsi obtenir une meilleure renaissance. Un rôle important du moine était de permettre aux maîtres de maison (quelles que soient leurs convictions religieuses) de gagner du mérite de cette façon. C’était le devoir des moines et des nonnes d’être le réceptacle d’aumônes et de donner aux maîtres de maison l’opportunité de gagner du mérite. Un moine était moralement tenu d’accepter toute offrande donnée de bonne foi par un pieu donateur, et s’il manquait de faire cela il entravait la récompense karmique que le donateur était en droit d’attendre (67). Ainsi, même si une donation n’était pas végétarienne, c’était le devoir d’un moine d’accepter ce qui était donné. Cela aurait été considéré comme de très mauvaise manière que de refuser, à moins d’avoir une très bonne raison de le faire. En fait, refuser une offrande de nourriture était employé pour punir un maître de maison qui avait à tort accusé de mauvaise conduite un moine ou une nonne. (68)

Il n’était simplement pas possible pour les moines et les nonnes d’être végétariens sans que cela présente de grandes difficultés. Ceci est la raison pour laquelle le Bouddha mangeait de la viande, et autorisait ses disciples suivant la vie monastique à faire de même. Il semble que d’autres pratiquants religieux mendiants aient été dans la même position. De nos jours, les pratiquants de la religion Jaïn (69) en Inde sont strictement végétariens, cependant les écritures jaïnes – qui décrivent la même période de l’histoire indienne que les écritures anciennes du bouddhisme – révèlent que leurs mendiants mangeaient également de la viande. (70) Ceci renforce la supposition qu’il était très difficile, aux premiers temps du bouddhisme, d’obtenir de la nourriture végétarienne.

Le Bouddha autorisait bien entendu aussi les moines et les nonnes à être végétariens, mais il refusa spécifiquement d’en faire une pratique obligatoire. De façon significative, être végétarien était vu comme une pratique ascétique parmi d’autres austérités comme de ne dormir que sous un arbre ou de ne porter que des haillons récupérés. Le fait qu’adopter un régime végétarien ait été considéré comme une pratique ascétique de ce genre suggère que cela devait être une chose très difficile à faire en ce temps là et dans ce contexte social. Il y avait une occasion en laquelle les moines et les nonnes pouvaient demander spécifiquement de la viande, et c’était lorsqu’ils étaient malades. L’on peut se demander si c’était une reconnaissance du fait qu’essayer de vivre de restes pouvait résulter en malnutrition. Il est probable qu’essayer de composer un repas végétarien sain avec les mêmes restes serait encore plus difficile.
Les bhikkhus et les bhikkunis, bien sûr, n’étaient pas les seuls bouddhistes. Il y avait aussi les disciples laïques du Bouddha. Les maîtres de maison étaient, comme on peut s’y attendre, dans une position différente des moines et des nonnes. Ils travaillaient pour obtenir un revenu plutôt que de mendier, et avaient le choix quant à ce qu’ils mangeaient. Tout comme les laïques soutenaient matériellement les moines et les nonnes, les moines et les nonnes soutenaient les laïques spirituellement, en leur délivrant des enseignements. Les enseignements donnés par les moines et les nonnes aux laïques, en particulier les enseignements éthiques qui encourageaient la non-violence et la pratique du metta, les auraient encouragés à abandonner la consommation de la viande, ainsi que des professions qui causent du tort à autrui. Une fois, alors qu’un groupe de disciples laïques était venu voir le Bouddha, il leur dit :
Maintenant, je vais vous entretenir des règles de conduite d’un maître de maison, en accord avec quoi il devient un bon disciple. Que celui-ci ne détruise pas la vie ni ne fasse que d’autres détruisent la vie, qu’il n’approuve pas non plus que d’autres tuent. Qu’il se retienne d’oppresser toute créature vivante de par le monde, qu’elle soit forte ou faible. (71)

Cet enseignement encourage de façon claire les laïques à abandonner la viande. Suivant cet enseignement, un disciple laïque ne pouvait pas être un ‘bon disciple’ du Bouddha et tuer un animal pour en consommer la viande, pas plus qu’il ne pouvait acheter de la viande. Car comment quelqu’un pourrait-il acheter de la viande à un boucher sans approuver son acte de tuer ? En achetant de la viande à un boucher, nous le récompensons financièrement pour son activité non-éthique. Si nous cherchions des végétariens parmi les premiers bouddhistes, il semble clair que c’est parmi les maîtres de maison que nous aurions le plus de chance de les trouver.

Le bouddhisme vous met donc face à une situation apparemment paradoxale où les premiers moines et nonnes, qui n’étaient pas végétariens, auraient encouragé les maîtres de maison à cesser de manger de la viande. Ces maîtres de maison bouddhistes végétariens auraient fait des offrandes de nourriture qui ne contenaient pas de viande à la communauté monastique. Dans les premiers temps, bien sûr, la proportion végétarienne de la population aurait été trop faible pour avoir beaucoup d’impact sur la consommation de viande d’un moine. Ceci dit, avec le temps cela aurait eu un impact de très grande ampleur, étant donné que le bouddhisme se répandit considérablement dans les siècles qui suivirent la mort du Bouddha. Nous avons des preuves que quelques centaines d’années après la mort du Bouddha, le végétarisme était devenu de plus en plus la norme.

Pourquoi donc le Bouddha déclara-t-il aux moines et aux nonnes qu’ils pouvaient manger de la viande s’ils ne voyaient, n’entendaient ou ne suspectaient qu’un maître de maison ait tué un animal spécialement pour eux ? Il semble assez probable que les maîtres de maison vivant dans un pays majoritairement non végétarien auraient considéré la viande comme une nourriture assez spéciale. Si la viande était spéciale, elle aurait constitué une offrande spéciale pour un mendiant religieux. Donner une offrande spéciale pouvait conférer un mérite spécial, conduisant à une meilleure renaissance. Il est ainsi assez probable qu’il y aurait eu une légère augmentation des abattages accompagnant l’arrivée dans un village des religieux mendiants. Nous avons connaissance, par des sources bouddhistes plus tardives que cela arriva en effet. (72) Cela aurait été analogue à la pratique – toujours en cours en Inde – de faire un sacrifice animal. (73) Cela serait quelque chose que le Bouddha se souciant de défendre le principe du metta ne veuille pas encourager. Il était important que la communauté monastique également n’encourage pas les autres à tuer, ou n’approuve pas leurs actes de tuer. Si un moine ou une nonne acceptait en toute connaissance cette sorte de viande, il ou elle aurait fermé les yeux sur l’abattage d’un animal en tant qu’offrande. Ainsi donc la recommandation formelle faite aux moines et aux nonnes d’être vigilants quant à tout indice qu’un animal ait été tué spécialement pour eux.