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Bouddhisme et végetarisme

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Viande et metta

Comment tout ceci nous affecte-t-il dans l’occident moderne ? Beaucoup de bouddhistes laïques mangent de la viande. Ils disent que puisque la viande qu’ils achètent au supermarché, au restaurant ou à la boucherie n’a pas été tuée spécialement pour eux, ils suivent tout simplement l’enseignement du Bouddha. Si nous adoptons le style de vie d’un mendiant – mendier comme le faisait le Bouddha et ses bhikkhus – alors nous pouvons véritablement justifier le fait de manger de la viande. Cependant nous aurions toujours à bien vérifier que nous n’encourageons personne à causer le mal. Il serait de notre devoir de s’assurer que personne ne tue des animaux pour nous, et nous devrions encourager le développement de metta et la pratique du végétarisme. Cependant, peu d’entre nous sont dans cette position à l’exception de ceux, minoritaires, qui vivent d’aumône.

La plupart d’entre nous sont dans la position des premiers maîtres de maison bouddhistes. En conséquence, notre ligne de conduite relativement à la consommation de viande ne devrait pas être un enseignement mis en usage pour le bénéfice des moines et des nonnes qui vivaient d’aumônes. Si nous ne mendions pas ainsi alors la notion qu’il est éthiquement acceptable de manger de la viande si l’animal n’a pas été spécifiquement tué pour nous, ne s’applique pas. Cette pratique n’a de sens que dans le contexte de la pratique de la mendicité. Au lieu de cela, en tant que maîtres de maison, nous devrions suivre les enseignements qui nous exhortent à « ne pas tuer, ou faire que d’autres tuent pour nous, ou approuver que d’autres tuent ». En arrêtant de manger de la viande, nous arrêtons de « faire que d’autres tuent pour nous » étant donné que nous retirons la demande de satisfaire nos anciens appétits. Aussi nous cessons d’« approuver que les autres tuent » en arrêtant de donner une contrepartie financière au vendeur de viande et à ceux qui tuent les animaux. Nous pratiquons, effectivement, une forme de boycott économique d’une industrie non-éthique.

Nos actions ont des conséquences. Lorsque nous avons un choix, nous devrions choisir l’option au résultat le plus positif. Si nous sommes conscients que nos actions ont pour résultat d’infliger de la douleur, nous devrions changer notre façon d’agir à chaque fois que cela est possible. Ne pas faire cela est non-éthique.

De nos jours, quelques bouddhistes mendient leur nourriture en Occident. Un moine à qui j’ai parlé a ainsi mendié beaucoup de fois, bien qu’il modifie quelque peu la pratique traditionnelle. Il se tient debout dans la rue près des magasins en tenant son bol couvert. Les gens s’approchent et demandent ce qu’il est en train de faire, présumant souvent qu’il mendie de l’argent. Il explique qu’il mendie de la nourriture et qu’il ne peut accepter que de la nourriture qui soit consommable immédiatement, car il n’a pas de moyens de la conserver ou de la cuisiner. S’ils demandent quelle sorte de nourriture il préfère, il suggérera quelque chose de végétarien. Cependant, de la nourriture contenant de la viande pouvait lui être donnée. Mais de façon intéressante, beaucoup de gens présument que puisqu’il est un moine bouddhiste, il est sûrement végétarien ! Ce bhikkhu en particulier encourage activement le végétarisme sur la base du premier précepte, mais il reçoit à l’occasion des donations de viande. Les règles monastiques l’autorisent à laisser de côté quoi que ce soit qu’il ne souhaite pas manger. Quelquefois, ceci dit, il est impossible d’éviter la viande du fait que tout soit mélangé ou que le repas offert soit majoritairement de la viande. Il suit une voie du milieu – mangeant de la viande lorsqu’il ne peut l’éviter, et encourageant les donateurs et les bouddhistes laïques en particulier à pratiquer le végétarisme. (74)

Manger de la viande en tant que conséquence inévitable du style de vie mendiante est, je le crois, une façon authentique de pratiquer le Dharma tout en n’étant pas strictement végétarien. C’est aussi en accord avec la pratique du Bouddha. Le point important est que les moines et les nonnes, chaque fois qu’il est possible, enseignent à leurs donateurs le principe de metta et son application à travers la non-violence, et les encouragent à être végétariens, ou au moins à offrir de la nourriture végétarienne.

Malheureusement, pour beaucoup de moines et de nonnes en Orient, et pour quelques uns en Occident, consommer de la viande est juste une habitude qu’ils ne questionnent pas. Parce qu’ils mangent eux-mêmes de la viande il ne leur vient pas à l’esprit d’encourager leurs donateurs à être végétariens. Ils ont oublié, pour ce qui est de cela, d’appliquer le principe de non-violence. Certains membres de la communauté monastique, comme n’importe qui consommant de la viande, développent envers elle une sorte de dépendance. Apparemment, certains des moines participant à la célébration du 2500ème anniversaire de la naissance du Bouddha ont protesté contre le fait que le gouvernement indien ne leur ait donné que de la nourriture végétarienne. (75)

Plus près de chez nous, j’ai visité un temple tibétain en Europe où de la viande est vendue dans le magasin attenant au temple. Le Tibet est, jusqu’à un certain point, un cas à part, puisqu’il y est très difficile d’être végétarien, en raison des mauvaises conditions climatiques et pour l’agriculture. Bien qu’il ne soit pas du tout pratique d’être végétarien au Tibet, cela est pourtant considéré très favorablement et beaucoup de tibétains prennent des vœux d’abstinence de manger de la viande pour des périodes données. Cependant, lorsque les tibétains viennent en Occident et continuent à manger de la viande, et n’encouragent pas les autres à cesser de le faire, il apparaît que malheureusement ils négligent la pratique du premier précepte. Un lama vivant en occident a déclaré : « Nous les tibétains aimons manger de la viande ! » (76) comme si la force de ce désir pour la viande excluait la possibilité de toute discussion.

Nous n’avons pas de moyens de vérifier avec exactitude si la dynamique que j’ai suggéré – celle du végétarisme se développant dans la culture bouddhiste à mesure que les moines et nonnes consommateurs de viande encourageaient les maîtres de maison à arrêter de manger de la viande – est vraiment ce qui s’est passé ; les sources historiques sont simplement trop aléatoires. Cependant, l’hypothèse corrobore les faits connus. Le document le plus ancien faisant montre d’un lien entre le bouddhisme et le végétarisme nous vient du roi Ashoka, qui vécut environ 250 années après le Bouddha. Après sa conversion au bouddhisme il essaya d’influencer la société indienne vers plus de compassion, exemplifiant souvent les choses. Il proclamait ses exhortations par des séries de messages gravés dans les pierres et les piliers de tout son royaume. Dans l’un de ses messages, il révèle que son palais est en train de devenir végétarien. Des centaines de milliers de créatures vivantes étaient jadis abattues chaque jour pour les currys dans les cuisines de sa Majesté, Aimé des Dieux, au Doux Visage. Alors que s’inscrit cet édit, seulement trois créatures vivantes sont tuées quotidiennement : deux paons et un cerf. Et le cerf n’est pas abattu régulièrement. Dans le futur, pas même ces trois animaux ne seront abattus. (77)

En même temps qu’un aperçu de la façon dont un monarque tenta d’introduire le végétarisme dans son palais, ceci est la première preuve manifeste que nous ayons de bouddhistes devenant végétariens après l’époque du Bouddha. Ceci confirme aussi que le végétarisme était associé aux premières pratiques bouddhiques. Et il est intéressant qu’il s’agisse d’un laïque (un monarque est toujours un laïque) qui pratiquait et propageait cela. Ceci corrobore l’hypothèse que c’était les maîtres de maison qui étaient libres d’arrêter de manger de la viande, et qu’ils le faisaient avec l’encouragement de leurs enseignants religieux.

J’ai déjà émis l’idée que bien que les moines et les nonnes mangeaient de la viande, ils auraient en même temps plaidé pour le végétarisme. De toute évidence, les maîtres de maison pouvaient aussi l’encourager (au début du bouddhisme, les laïques pouvaient aussi êtres des enseignants et avaient parfois un grand nombre de disciples). Nous ne pouvons qu’admettre que cette promotion du végétarisme eut beaucoup de succès, puisque plusieurs siècles plus tard nous apprenons, d’après les rapports de moines chinois visitant l’Inde, que quasiment l’Inde entière était alors végétarienne. L’un de ces moines écrit : les gens de ce pays ne tuent pas de créatures vivantes… L’unique exception à cela sont les Chandalas, qui sont connus en tant qu’ « hommes mauvais ».. Ni cochons ni volaille ne sont gardés captifs dans ce pays, et aucune créature vivante n’est vendue. Dans les marchés, il n’y a ni bouchers ni marchands de vin… Seuls les chasseurs et pêcheurs Chandalas vendent de la chair.

Il peut y avoir là de l’exagération, mais si tel est le cas, on peut s’attendre à ce que l’exagération contienne une vérité – le fait que le végétarisme était commun, sinon universel, à cette époque en Inde.

Bien sûr une certaine tension est associée au fait que des moines et des nonnes consommateurs de viande encouragent les laïques à être végétariens. Les membres de la communauté monastique étaient supposés ne pas devenir attachés à la nourriture, mais (comme nous le savons tous) il est très facile de devenir habitué à une certaine sorte de nourriture. Si le végétarisme commençait à se répandre largement dans la population, les moines et les nonnes qui avaient comme une dépendance envers la viande dans leur bol à aumônes, se retrouveraient en conflit. Ils se priveraient de leur source d’approvisionnement. On peut aussi s’attendre à trouver d’autres membres de la communauté monastique ressentant que s’ils encourageaient les maîtres de maison à être végétariens, ils devaient suivre eux-mêmes la même pratique. On peut s’attendre à certaines polarisations. En fait il semble y avoir des preuves à cela.

Le Mahayana – littéralement « la plus grande voie pour l’Eveil » – se considérait comme un mouvement réformateur. Il a émergé comme une contestation de certaines tendances à la rigidité et la littéralité qui ont vu le jour aux débuts du bouddhisme. Il met l’accent sur l’esprit du bouddhisme – celui de la compassion – plutôt que de suivre des règles de façon littérale (y compris des règles qui vous autorisent à mendier de la viande !). Le végétarisme, comme on peut s’y attendre, est plus largement pratiqué dans la tradition bouddhiste Mahayana. Le Soutra Lankavatara (79) est un texte relativement tardif des écritures Mahayana. Un chapitre entier de ce soutra est dédié à plaider pour le végétarisme (80), et montre l’existence d’une tension entre les moines qui avaient adopté un régime végétarien et ceux qui continuaient à manger de la viande.

Dans le Soutra Lankavatara le lien entre le premier précepte et le végétarisme est clair :
Le Bodhisattva, qui a pour nature la compassion, ne doit manger aucune viande… De crainte de provoquer la terreur d’un être vivant… que le Bodhisattva qui s’entraîne dans la discipline pour atteindre la compassion, s’abstienne de manger de la chair (81)

Il y a aussi des arguments explicitement contre le Sutta Jivaka. Le Lankavatara affirme :
Il n’est pas vrai… que la viande soit une nourriture convenable et permissible… lorsque (la victime) n’a pas été tuée par lui-même, lorsqu’il n’a pas donné l’ordre à d’autres de tuer, lorsque cela ne lui était pas spécialement destiné. (82)

Il apparaît donc qu’une polarisation s’était établie mille ans peut-être après l’époque du Bouddha, entre ceux qui donnaient au premier précepte priorité sur le Sutta Jivaka et ceux qui donnaient priorité au Sutta Jivaka sur le premier précepte.

Cette polarisation, comme nous l’avons vu, existe toujours aujourd’hui : bénéficiant de la perspective historique qui manquait à ces bouddhistes des premiers temps, nous pouvons voir comment il peut être à la fois vrai que le Bouddha mangeait de la viande et que le premier précepte implique d’être végétarien.